Lorsqu’on pense au combat aérien moderne, on peut pardonner à la plupart des Canadiens peuvent de se représenter les braves temps de jadis, une époque où les pilotes mettaient à l’épreuve leur bravoure et leur expertise de vol dans une joute chevaleresque de leurs compétences. La bataille de Bretagne constitue le modèle même de l’idée que la plupart des gens se font du combat aérien. Dans cette représentation, peu d’entre eux prennent en considération le poids de la technologie et son influence sur les résultats : le pilote du chasseur gagne par une combinaison d’audace et d’habileté. Bien sûr, en réalité c’est l’emploi d’une technologie supérieure qui a toujours eu le plus d’impact sur les résultats. La loi de Moore, c’est-à-dire le concept gouvernant la vitesse à laquelle la puissance des puces électroniques évolue, joue un rôle croissant dans l’issue de ces résultats. La loi de Moore note que la puissance des puces électroniques, laquelle est représentée par la densité des transistors, double tous les deux ans. Cette puissance permet aux puces de traiter une quantité d’informations de plus en plus importante à une vitesse toujours plus grande. Le combat aérien est largement dominé par qui peut voir qui le premier : détecter l’information est critique pour gagner cette lutte. L’habileté à la fois de voir et de rester camouflé dans cet environnement électronique dominera l’évolution du développement de la conception du chasseur.
Il y a eu de nombreux débats sur les capacités du F‑35 sous le terme de « cinquième génération ». Dans les médias, le F‑35 est souvent décrit en tant que « furtif » liant décisivement cet attribut avec le concept de cinquième génération. La plupart des journalistes se sont questionnés à savoir si le Canada avait besoin d’un « jet furtif ». Des avions, tels que le F‑117 Nighthawk et le B‑2 Spirit, ont notamment été utilisés par l’USAF lors du lancement de plusieurs campagnes aériennes au cours des trois dernières décennies afin de créer un élément de surprise. La furtivité est une compétence précieuse lorsqu’on mène des opérations aériennes contre un opposant dont les systèmes de défense aérienne demeurent intacts ou seulement légèrement dégradés. Pour de nombreux spécialistes canadiens, de telles activités pourraient sans problème être laissées menées par des joueurs des ligues majeures, tels que l’USAF. Par ailleurs, la furtivité semble être d’utilité limitée pour la protection de l’espace aérien domestique canadien et certains sont frappés par la frivolité de cette option qui impose un prix inutile pour l’achat de notre prochain chasseur. Bien que la furtivité soit une caractéristique importante des chasseurs de cinquième génération, elle n’en reste pas moins qu’une parmi d’autres qui la définissent. Il serait plus juste de dire que les chasseurs de la cinquième génération sont ceux qui ont été définitivement formés à tous points de vue par les implications de la loi de Moore.
Les chasseurs ont connu une rapide évolution depuis leur première apparition dans le ciel au-dessus du front de l’Ouest au commencement de la Première Guerre mondiale. Même durant cette guerre, les avantages tactiques procurés par des moteurs plus puissants, un meilleur armement et une cellule de l’avion plus robuste et mieux conçue ont occasionné un processus intense de sélection naturelle. Les avions de la Seconde Guerre mondiale, comme le ME‑262, le Gloster Meteor et le DeHavilland Vampire, ont constitué la première génération de chasseurs à réaction. La puissante hélice de ces chasseurs est rapidement disparue des structures des forces aériennes modernes. Elle a seulement été conservée pour les avions hautement spécialisés, tels que le Douglas A‑1 Skyraider, utilisé pour des missions aériennes de support à faible distance du sol. Cette génération se caractérise ultimement par l’emblématique F‑86 Sabre et le MiG‑17 renommé lors de la guerre de Corée. Cependant, la principale caractéristique de tous ces avions demeure la substitution des hélices par des moteurs à réaction. À tout autre égard, ces chasseurs à réaction partageaient les mêmes caractéristiques que ceux du début de la Première Guerre mondiale : une plateforme sur laquelle un canon était fixé pour tirer d’autres avions dans l’espace aérien.
La seconde génération de chasseurs a commencé à apparaitre au début des années 1950 et avait un type de philosophie de conception très différent. Ces chasseurs étaient fondamentalement conçus grâce aux technologies révolutionnaires des armes nucléaires et des systèmes de missiles air-air. Les idées dominantes sur le déroulement d’une guerre future assumaient une utilisation massive d’armes nucléaires. Les chasseurs étaient conçus soit en tant qu’intercepteurs armés de missiles pour abattre les flottes de bombardiers ou bien en tant que chasseurs bombardiers conçus pour laisser tomber de petites armes nucléaires tactiques. La vitesse, plutôt que la manœuvrabilité, était la priorité. Les chasseurs appelés « de la série 100 », nommés ainsi à cause de la succession des nombres (F‑100, F‑101, F‑102 et ainsi de suite), démontrent clairement cette philosophie de conception. Néanmoins, de tels avions à réaction se sont révélés d’une utilité limitée dans les contingences politiques auxquelles les États-Unis ont dû se confronter dans les années 1960. L’emploi du rapide et élégant chasseur de la série 100 a été très limité au Vietnam (seul le F‑105 Thunderchief y a connu un usage opérationnel et il était largement reconnu en tant qu’avion de qualité inférieure, surnommé « Thud » à cause de sa tendance à être abattu facilement).
Une troisième génération de chasseurs a commencé à apparaitre à la fin des années 1950 avec des conceptions telles que le F‑4 Phantom, le Mirage III et le MiG‑21. Ces avions profitaient tous d’une augmentation de la puissance des armes téléguidées et d’un système avancé de contrôle des surfaces aériennes afin d’améliorer leur manœuvrabilité. Mais à de nombreux égards, la troisième génération n’était qu’une phase transitionnelle dans l’évolution de la conception du chasseur, comprise entre les conceptions plus simples de la première génération et celles influencées par l’informatique, lesquelles ont commencé à apparaitre dans les années 1970. La quatrième génération de chasseurs, tels que le fameux « Teen series » conçu par les Américains et le Su‑27/MiG‑29 par les Soviétiques, incorporait des cellules d’avion crées en utilisant de nouveaux principes mathématiques dans leur conception et en employant les dernières innovations de l’avionique électronique pour améliorer la conscience situationnelle. Le nouvel engouement pour le combat aérien caractérisait toutes ces conceptions, malgré tout, la plupart étaient capables de performer des missions multirôles à l’aide d’un simple interrupteur.
La cinquième génération de chasseurs est la première à bénéficier pleinement de la technologie conceptuelle d’assistance par ordinateur, de nouveaux matériaux, eux-mêmes le produit d’une conception améliorée par ordinateur, et d’une variété de systèmes d’armes téléguidées. La furtivité, ou plus précisément, la gestion de la signature constitue le point commun de ces trois particularités. L’augmentation de la précision et de la fiabilité des armes téléguidées demande à ce que les avions deviennent moins « visibles » pour les systèmes électroniques les recherchant dans l’espace aérien. Concevoir de nouvelles cellules d’avions et de nouveaux matériaux pour réduire leur surface équivalente radar permettrait à l’avion d’éviter d’être détecté. Lors des récentes opérations aériennes, les menaces provenaient largement du sol plutôt que du ciel puisque les armées de l’air avaient décliné les offres de combat. Les missiles antiaériens et leurs systèmes de détection profitent eux-mêmes de la puissance de traitement que leur permet la loi de Moore. Les systèmes, tels que le S‑300 russe, emploient les radars à balayage électronique qui permettent parallèlement de suivre plusieurs cibles et de contrôler plusieurs missiles. Les armes portables, comme le SA‑24, sont devenues beaucoup plus mortelles. Ces systèmes sont équipés d’autodirecteurs qui peuvent fournir une meilleure distinction entre les contremesures comme les bombes éclairantes et leurs cibles assignées. Ils permettent aussi de viser un avion depuis n’importe quelle position plutôt qu’uniquement de derrière.
Cependant, les ordinateurs ont aussi influencé la conception de la cinquième génération sous d’autres aspects. Dans les avions de quatrième génération, par exemple, aucun des divers systèmes de détection, tels que le radar, les systèmes guerre électronique ou les dispositifs électro-optiques, n’était intégré. La cabine de pilotage de ces chasseurs est devenue incroyablement complexe avec un nombre élevé d’instruments que le pilote devait gérer afin de conserver un niveau convenable de conscience situationnelle. Cependant, dans les avions de cinquième génération, ces technologies de détection ont été fusionnées ensemble dans un réseau, réduisant ainsi la charge de travail du pilote afin qu’il ou qu’elle puisse se concentrer sur l’accomplissement de la mission. Le Distributed Aperture System en est un excellent exemple. Il consiste en une série de détecteurs infrarouges qui sont installés tout autour de la cellule de l’avion pour permettre une vision à 360° de l’espace aérien, laquelle est projetée dans le viseur du casque du pilote lui permettant une détection rapide d’un missile ou d’un avion. Le système d’avertisseur de radar AN/ASQ‑239 est assez sensible pour permettre un ciblage passif des autres avions en utilisant leurs propres émissions radar. Le radar à balayage électronique actif ne recherche pas seulement l’espace aérien, mais peut aussi être utilisé pour transférer des données entre les avions permettant donc créer un réseau en vol d’une zone locale en vue d’établir une meilleure conscience situationnelle. Les avions peuvent alors combiner les données qu’ils détectent afin de générer des informations plus précises et des données de ciblage.
Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a récemment admis qu’une quelconque intervention internationale en Syrie, qu’elle soit ou non supportée par une résolution de l’ONU, ne recevrait uniquement qu’un support diplomatique de la part du Canada. Manquant de missiles de croisière dans son inventaire des forces, l’Armée canadienne n’aurait pas la capacité technique pour participer à une telle opération. Ce n’est pas la première fois que le Canada se retrouve dans une telle situation. Lors des opérations de l’OTAN au Kosovo en 1999, les CF‑18 canadiens manquaient à la fois de radios sécurisées et de radars modernes, compromettant potentiellement la sécurité des attaques aériennes chaque fois que nos avions étaient en vol. Même aujourd’hui, les CF-18 canadiens modernisés n’ont toujours pas les capacités techniques qui leur permettraient d’opérer lors de situation de haute menace comme c’est le cas présentement en Syrie. Notre capacité décisionnelle aura, en conséquence, un impact à long terme sur les termes et le niveau de flexibilité avec lesquels le gouvernement canadien pourra aborder une crise ou un conflit international.
Le futur est difficile à prédire, tel que je l’ai avancé précédemment sur ce blogue. Il y a toutefois deux choses dont nous pouvons être certains. Tout d’abord, bien que la vitesse du développement informatique ait ralenti dernièrement, elle ne démontre aucun signe d’arrêt. Certains ont soulevé des préoccupations concernant l’atteinte imminente des limites physiques de la conception des puces électroniques. Cependant, de nouvelles technologies innovatrices, telles que l’informatique quantique, la photonique et la micro-fluidique, nous suggèrent plutôt que la loi de Moore pourrait encore avoir une longévité considérable. Avec l’habileté de traiter rapidement une grande quantité d’informations, la survie dans les combats aériens futurs n’est plus seulement une question de rapidité, de manœuvrabilité et de fiabilité des armes. Elle consiste aussi à « rechercher des aiguilles dans une botte de foin » en passant au crible les masses de données de détection et en manipulant celles-ci pour repérer les faibles signaux indiquant l’approche d’une menace. Considérant cela et nonobstant la somme exorbitante nécessaire pour l’acquisition d’un avion à réaction, le F‑35 représente sans nul doute la direction future du combat aérien, même si d’autres systèmes sont aussi contraints de concurrencer avec la vitesse établie par la loi de Moore. La seconde certitude réside dans le fait que les gouvernements canadiens continueront de voir l’utilité d’employer la force pour modeler l’espace international de façon à y refléter à la fois nos intérêts et nos valeurs. Ce pourquoi nous devons nous attendre à ce que la Libye ne soit pas la dernière occasion où le gouvernement canadien aura à répondre des capacités de combat de l’ARC. Afin de contribuer à ces opérations futures, les Canadiens devraient accepter de payer les coûts reliés à la guerre aérienne moderne.
Le Dr Paul T. Mitchell est professeur des études de la défense au Collège des Forces canadiennes, ancien étudiant de l’Université Wilfrid‑Laurier et chercheur associé du Laurier Centre for Military Strategic and Disarmament Studies. Les opinions exprimées dans cet article sont exclusivement celles de l’auteur et ne représentent pas celles du Collège des Forces canadiennes ou du Ministère de la Défense nationale.
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