Le Raid de Dieppe soixante-dix ans plus tard : Commémorations et controverses persistantes – partie 2 par David Hall, bloggeur invité.

by | Mar 28, 2014 | LCSC, War and Society | 0 comments

Lisez la première partie du blogue ici.

Les cérémonies commémoratives marquant le 70e anniversaire du raid de Dieppe étaient plus grandes et un peu plus émouvantes cette année. Avec la plupart des anciens combattants maintenant âgés de plus de 90 ans, cela pourrait être la dernière commémoration majeure du raid. Plus de 4 000 personnes ont assisté aux cérémonies officielles à Dieppe en France, le dimanche 19 août 2012, dont vingt anciens combattants canadiens et britanniques du raid. La participation a été plus élevée que prévue lors des cérémonies au Royaume-Uni et celles partout au Canada. Le raid tragique et les cérémonies commémoratives ont également reçu une couverture importante à la télévision et dans les journaux au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Diantha Parker, journaliste au New York Times, a décrit brièvement le raid et la controverse entourant son échec historique pour un lectorat principalement américain qui a peu de chances d’avoir une connaissance détaillée du raid de Dieppe. Publié dans les journaux à travers les États-Unis, son récit qui est parsemé de témoignages de survivants du raid révèle le but de l’attaque et les raisons pour lesquelles il s’est aussi terriblement mal déroulé. Elle n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les sacrifices consentis par les hommes qui ont combattu et sont morts dans l’attaque de Dieppe sont encore importants, même aux yeux d’une journaliste professionnel qui, quelques 70 ans plus tard, fait des recherches sur la planification, la conduite et les conséquences du raid. Le père de Diantha, Stanley Parker, décédé il y a seulement quelques années, était un Américain servant dans le régiment des Black Watch du Canada. Il se trouvait également parmi les quelques 1 900 soldats faits prisonniers à Dieppe. Est-ce que son sacrifice fit avancer davantage la cause des Alliés en fournissant des leçons importantes pour les débarquements du jour J en Normandie deux ans plus tard comme l’ont affirmé à plusieurs reprises les Winston Churchill, Lord Mountbatten et général Eisenhower? Après avoir parlé avec David O’Keefe et avoir pris connaissance du raid secret de la Royal Navy au sein d’un raid pour voler la machine de codage allemande la plus avancée et des livres de codes, Diantha, et les anciens combattants qu’elle a interviewés, peuvent en douter à juste titre. Vous pouvez lire les deux articles de Diantha Parker: « A Day for Canada’s Fallen in a Lesser-Known Battle » (19 août 2012) et « “In a little-known WWII Battle, a Father’s Experience Becomes a Daughter’s Journey » (22 août 2012) au www.nytimes.com.

Parker n’était pas la seule journaliste à se concentrer sur la recherche de David O’Keefe et son nouveau documentaire « Dieppe Uncovered » qui a été diffusé au Canada et au Royaume-Uni les 19 et 20 août 2012. La plupart des journaux canadiens qui couvraient les événements commémoratifs en France et au Canada ont accordé une attention considérable à l’affirmation de O’Keefe à savoir que le raid de Dieppe fut une couverture élaborée pour une opération de renseignement top secrète de la marine britannique pour capturer la nouvelle machine de  codage allemande à quatre rotors Enigma et ses livres de code. Alex Ballingall, journaliste pour le magazine Macleans, est allé jusqu’à prétendre que « Cette mission était d’une telle importance que, si elle avait été un succès, tout le cours de la guerre aurait pu être modifiée (trad. libre) ». Alicja Siekierska du Ottawa Citizen et Irene Ogrodnik (Global News) ont été légèrement plus circonspects dans leurs articles sur la « portée révolutionnaire » des conclusions de O’Keefe. Siekierska, cependant, n’a pas pu résister à la révélation terriblement tentante que le commandant Ian Fleming, au service du renseignement naval britannique pendant la guerre, et plus tard, l’auteur des romans de James Bond, a joué un rôle dans l’opération secrète. Elle a également affirmé que le documentaire « fournit aux anciens combattants une meilleure explication de la raison pour laquelle les soldats ont été impitoyablement envoyés dans le port très surveillé en France (trad. libre) ».  Tant Ogrodnik, dans son article du Global News, que Christina Steven, dans son reportage pour le Global National, ont aveuglément adopté la thèse de O’Keefe que le « ‘raid de vol’ pour obtenir la machine allemande Enigma au siège naval allemand, situé non loin de la plage principale de Dieppe, était la ‘force motrice’ derrière le raid de Dieppe ». Les historiens devront attendre l’année prochaine lorsque Random House Canada publiera le livre d’O’Keefe Dieppe Decoded, avant de pouvoir trancher par eux-mêmes si, comme Louise Dennys, éditrice exécutive de la Knoft Random House Canada Publishing Group, l’a affirmé, cette « étonnante histoire derrière l’un des mystères les plus tenaces de la Seconde Guerre mondiale [la raison derrière le raid de Dieppe]… va changer fondamentalement notre compréhension de ce chapitre crucial de l’histoire du Canada et va aider à tourner la page de l’un des événements les plus tragiques de notre passé récent (trad. libre) ».

Ce ne sont pas tous les reportages sur les commémorations du 70e anniversaire qui ont porté sur les nouvelles révélations exposées par O’Keefe. Les controverses de longue date sur les questions à savoir qui a autorisé le raid, quel était l’objectif du raid et sur ce que les Allemands savaient sur le moment et le lieu du raid ont été réexaminées. Gerard Gilbert, journaliste pour le Daily Telegraph, un des quotidiens les plus prestigieux de Grande-Bretagne, a exploré les motivations de l’attaque alliée sur Dieppe. Il est catégorique dans son évaluation de l’efficacité du raid de Dieppe, c’est-à-dire qu’il avance que le raid a été un désastre pour les Alliés. Il note que « une force de troupes canadiennes et britanniques, forte de 6 000 soldats, a perdu 4 131 hommes tués, blessés ou capturés en seulement six heures et 106 avions de la RAF ont été détruits avec le contre-torpilleur HMS Berkeley [de la Royal Navy] ». Sans surprise, les Allemands étaient confus sur le motif derrière le raid affirmant à juste titre qu’il était « trop gros pour un raid et trop petit pour une invasion ». Gilbert a demandé à un certain nombre d’anciens combattants du raid ce qu’ils ont accompli. La plupart ont été cinglants dans leurs critiques de la planification et de l’exécution du raid. Pour eux, c’était « une vision de l’enfer » et qu’il s’agissait d’une « stupidité grossière de penser que vous pouviez prendre un port occupé par l’ennemi par un assaut frontal ». D’autres étaient cependant moins amers et, en dépit des lourdes pertes, ont affirmé que le raid était « vital pour le succès du Jour J, plus particulièrement pour le développement des ports artificiels flottants » (http://www.telegraph.co.uk/history/9483651/The-Dieppe-Raid-the-forgotton-D-Day.html). Ces thèmes se retrouvent dans l’article de la Presse canadienne de Michelle McQuigge pour le Metro News, qui a également abordé le contexte plus large de la guerre à l’été 1942. Ce fut une période difficile de la guerre pour les Alliés. McQuigge fondait son article sur une entrevue qu’elle a eue avec Michael Bechthold, le directeur de la rédaction de la revue Canadian Military History et historien universitaire faisant partie du personnel du LCMSDS. Bechthold décrit comment les Alliés ont souffert lors de la bataille de l’Atlantique et la guerre du désert en Afrique du Nord. Le raid de Dieppe, a-t-il poursuivi, était un signal clair à l’Allemagne que « nous sommes encore dans ce combat et nous n’allons pas reculer (trad. libre) ». Les Russes se débrouillaient tant bien que mal pour continuer à combattre au moment où la Wehrmacht poursuivait son offensive de l’été (nom de code Case Blau) vers Stalingrad et les champs de pétrole riches du Caucase. Staline avait désespérément besoin d’une aide urgente et il implorait ses alliés britanniques et américains d’ouvrir un second front, un message que les troupes britanniques et canadiennes s’embarquant pour le raid de Dieppe ont obtenu des communistes britanniques lorsqu’ils ont soulevé juste devant l’entrée des quais de Southampton une grande banderole indiquant: « Déclenchez l’attaque du deuxième front maintenant ! ».

Politiquement, le raid de Dieppe est venu au bon moment pour Churchill et les Alliés occidentaux et la grande portée des objectifs opérationnels a semblé raisonnable aux planificateurs qui croyaient que la combinaison de la surprise et de la légère résistance assurerait son succès. À la lumière de l’échec du raid, ces hypothèses de planification semblent ridicules. Toutefois, la combinaison de l’urgence de faire quelque chose et les objectifs multiples des forces aériennes, terrestres et navales déployées – y compris l’espoir d’obtenir des renseignements de la marine par la capture de l’équipement de codage allemand – montrent clairement que cette opération avait sa genèse dans un but stratégique plus large.

Dans le prochain segment de ce blogue, j’ai l’intention de discuter de l’information détenue par les Allemands sur l’attaque avant qu’elle ne se produise et leur réaction à cet événement après qu’il se soit produit.

Le Dr David Ian Hall est un chargé d’enseignement au Département des Études sur la défense au King’s College de Londres basé au Joint Services Command and Staff College à Shrivenham, au Royaume-Uni, et chercheur associé du LCMSDS. Visionner une vidéo de sa conférence au LCMSDS sur les Allemands à Dieppe en 2011 ici.

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