Recension de l’ouvrage de Noah Richler What We Talk About When We Talk About War par Kirk Goodlet et Geoff Keelan

by | Mar 21, 2014 | LCSC, War and Society | 0 comments

L’ouvrage de Noah Richler, What We Talk About When We Talk About War, a récemment été nominé à titre de finaliste pour le Prix littéraire du Gouverneur général 2012. Félicitations à Noah et à nos amis de Goose Lane Editions. Une liste complète des finalistes peut être trouvé ici. À la lumière de cet honneur, nous avons décidé d’afficher à nouveau la recension de l’ouvrage de Noah par des membres du personnel du Centre, Kirk Goodlet (University of Waterloo) et Geoff Keelan (University of Waterloo), publiée plus tôt ce printemps.

richlerNoah Richler,  What We Talk About When We Talk About War (Fredericton, NB : Goose Lane Editions, 2012). 370 pages.

Recension de Kirk Goodlet et Geoff Keelan

Dans cet ouvrage érudit et poussant à la réflexion, Noah Richler explore ce qu’il considère comme un changement fondamental dans la politique, le discours et l’identité du pays par rapport à la politique étrangère et le développement international. Au cœur de son interprétation se pose l’hypothèse que, au cours d’une seule décennie, depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a lancé une campagne de fabrication de mythes qui déforme les attitudes concernant le rôle du Canada en politique étrangère et, plus particulièrement, la guerre en Afghanistan. Pour Richler, les Conservateurs avec d’autres personnalités éminentes, telles que les historiens David Bercuson et Jack Granatstein, la journaliste Christie Blatchford ainsi que l’icône du hockey Don Cherry, ont tous remodelé le récit de l’histoire du Canada fondé sur l’idéalisme et le maintien de la paix pearsoniens à celui où le Canada est devenu une « nation guerrière » établie fermement par l ‘« effet de Vimy » (p. 47).

S’appuyant sur des journaux, des rapports et quelques travaux universitaires, Richler vise à déterminer si “Canada is today a ‘warrior nation’ [and] that the peacekeeping version of Canada was a fifty-year aberration…or that the Canada with an innate disposition toward ‘soft power,’ ‘making a difference’ and the sort of peacekeeping work that is now so disparaged is the underlying constant and the ‘warrior nation’ is the fiction » (p.43). Ce n’est qu’au dernier chapitre que Richler expose enfin un semblant de thèse, bien qu’elle soit intégrée de façon tacite tout au long du livre. À ce point, il avance que « in the first decade of the twenty-first century, an epic point of view regarding the war in Afghanistan replaced the peacekeeping narrative » (p. 322).

L’ouvrage What We Talk About When We Talk About War est séparé en cinq longs chapitres qui racontent « phrases and forms of story that Canada has used in order to talk itself into, through and out of the war in Afghanistan » (p. 44-45). « The Vimy Effect » décrit l’effondrement, dans les années 1990 et dans les années 2000, du « nouveau » mythe fondateur de maintien de la paix du Canada, formé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le chapitre suivant, « Warrior Nation », examine l’idéalisme militaire qui le remplace et le changement dans le discours national alors que le Canada entre dans la guerre en Afghanistan. La lutte pour justifier la présence du Canada est explorée dans « Building Schools for Girls ». Ici, Richler développe son argument. En dépit du fait que les forces conservatrices aient tenté de définir la présence canadienne à l’étranger comme une action nécessaire, il s’est avéré impossible de surmonter le besoin des Canadiens pour une justification plus profonde, plus humanitaire, comme la construction d’infrastructures sociales ou la promotion des droits des femmes plutôt que pour la simple défense des alliés de l’OTAN. Dans le chapitre suivant, « The War Becomes a Mission (Impossible) », Richler avance que le récit devait encore être transformé puisque, avec le temps, il est devenu clair que nos forces armées ne pourraient améliorer considérablement la vie des Afghans ou transformer le gouvernement corrompu du pays. Dans son dernier chapitre, Richler demande « What is to be done ? » Ici, il suggère la création d’un régiment d’opérations de la paix qui servirait à titre de « specialized Canadian military force acting as a third party and designed for the particular tasks and challenges of conflict resolution in global theatres in which Canadian interest, not self-interest, is the motivation » (p. 349). Dans les dernières pages, il résume son analyse critique des Canadiens en Afghanistan et il suggère que notre échec est intrinsèquement lié à une politique systématique de déshumanisation, des ennemis autant que des dissidents, qui forment le noyau de la « Warrior Nation » (p. 362).

Pour les historiens, What We Talk About When We Talk About War est un ouvrage qui laisse beaucoup de place à la critique. Le livre traite des attitudes et des idées canadiennes, mais à certains égards Richler est beaucoup trop insulaire. Curieusement, pour un avocat d’une perspective qui encourage un idéalisme humanitaire tourné vers l’extérieur, Richler minimise les développements géopolitiques internationaux à grande échelle et omet de prendre en considération le fait que d’autres États ont connu des doutes similaires sur leurs prétendus « passés humanitaires ». Ces développements incluent la tendance générale vers la dévolution de missions dirigées par l’ONU à l’OTAN et la poursuite du transfert de l’autorité aux organisations sous-régionales telles que l’Union européenne et l’Union africaine. Cela ne signifie pas que l’ONU a été écartée complètement, mais plutôt que le Conseil de sécurité a joué un rôle minime et symbolique en sanctionnant le recours aux forces de l’OTAN à travers le monde.

En lien avec cette idée est le problème conceptuel plus grave de la chronologie dans le récit de Richler. Nous ne sommes pas nécessairement en désaccord avec le fondement de son argumentation, mais imputer tout le blâme sur le gouvernement de Stephen Harper et sur quelques intellectuels canadiens constitue un procédé de mauvaise foi. En effet, il ne tient pas compte de changements cruciaux dans la politique étrangère canadienne et dans les affaires internationales qui ont commencé bien avant l’ascension de Harper au pouvoir. À plusieurs occasions, Richler fait référence à l’affaire de la Somalie, au génocide au Rwanda et aux guerres dans les Balkans (e.g. p. 48-50 et 61-63). Cependant, c’est au cours de la dernière guerre que le rôle de l’Armée canadienne a commencé à changer, cette transformation est particulièrement apparente par l’important rôle joué par les Canadiens dans la force de mise en œuvre (IFOR) de l’OTAN forte de 60 000 hommes. Bien que sanctionnée par la résolution 1031 du Conseil de sécurité de l’ONU et d’autres semblables, l’IFOR, qui a été remplacée après son mandat d’un an par la Force de stabilisation (SFOR) en 1996, ne peut guère être considérée comme une mission de maintien de la paix [1]. Le fait est que la transition, à la suite de l’échec complet de la FORPRONU, du maintien de la paix à la gestion de conflit armé était déjà en cours à la suite des échecs successifs de l’ONU et de l’attention croissante du public au Canada et à l’étranger. Après les événements du 11 septembre 2001, le gouvernement conservateur de Harper a simplement facilité une évolution qui avait commencé dès le début des années 1990 en mobilisant les ressources économiques et, surtout, le langage que nous utilisons pour décrire la participation canadienne à des guerres.

On peut trouver injuste de critiquer Richler pour son absence de dialogue avec des œuvres universitaires et historiques sur la mémoire et l’histoire puisque nous pensons que c’est au-delà de la portée de son livre. Néanmoins, quelque chose doit être dit à propos de sa vendetta contre David Bercuson et sa dépendance presque totale sur les livres d’histoire populaires (Niall Ferguson, The Pity of War, pour ne citer qu’un ouvrage de sa section sur les sources, p. 368), ainsi que des journaux – dont la plupart viennent des villes du centre du Canada. Le caractère limité des sources soulève des questions sur l’omniprésence des attitudes décrites dans cet ouvrage.

À cela vient s’ajouter le caractère sélectif de Richler dans les commentaires de Granatstein concernant l’Armée et la politique. Dans au moins un article, Granatstein a violemment critiqué les Conservateurs pour les coupes dans le financement déjà ancien du Forum sur la sécurité et la défense (FSD), une initiative soutenant la recherche sur l’histoire militaire et la politique étrangère dans les universités à travers le Canada au cours des vingt dernières années.[2] Bien que Richler puisse prétendre que la recherche financée par les militaires fait partie du problème, il reste que le portrait des forces conservatrices n’est pas aussi homogène que ce qu’il prétend.

De notre point de vue historique, un autre problème conceptuel est la place de la Seconde Guerre mondiale. Les lecteurs espérant découvrir comment les gouvernements ont mythifié ou utilisé la mémoire de la participation canadienne à cette guerre seront déçus : le livre s’attaquant rarement à ce conflit ou à d’autres contributions canadiennes à différentes guerres (par exemple, la guerre des Boers, 1899-1902). Pour les historiens, en tant qu’observateurs minutieux de la périodisation, ce livre pourrait être mieux, intitulé « What we talk about when we talk about war in the last decade ».

Pourtant, si nous nous débarrassons de notre rôle d’historiens et approchons le livre de Richler en tant que Canadiens, il est difficile de ne pas être d’accord avec la plupart de ses évaluateurs [3] – que c’est une bonne chose que Noah Richler ait écrit What We Talk About When We Talk About War. Pour la plupart des lecteurs sérieux de son travail, il est clair que, indépendamment du fait que vous soyez d’accord avec lui ou non, il a lancé un débat utile là où il n’y avait que de maigres affirmations.

Le détail le plus important de l’œuvre de Richler n’est pas son plaidoyer en faveur de la résurrection d’une « nation de maintien de la paix », ou une plainte à la George Grant pour le Canada du passé qui part dans tous les sens, mais plutôt l’avertissement qu’il propose: « War enters the unconscious early » écrit-il (p.11). Le danger d’avoir un récit partial sur l’Armée canadienne et notre rôle en Afghanistan se trouve dans l’absence d’arguments pour contrer l’idée que combattre et promouvoir les guerres s’avère nécessairement bon pour nous. Quel genre de Canadiens existera-t-il dans les générations futures si nous cessons de nous demander si nous devons participer à des guerres et si l’on se limite à se demander comment nous devons les combattre?

Au cœur de l’argument de Richler, et répété tout au long du livre, réside l’affirmation que, dans la foulée du 11 septembre jusqu’à nos jours, le « language of the battlefield [is] all-pervasive » (P. 338). De l’Afghanistan, aux achats militaires, à la réaction du gouvernement aux protestations des citoyens, il existe un état d’esprit militarisé où la réponse appropriée aux débats sociaux complexes est une réponse énergique et agressive. Nous sommes loin d’être d’accord avec les positions de Richler sur des Régiments d’opérations de la paix ou avec sa condamnation implicite du soutien explicite pour les militaires, mais il est plus difficile de rejeter son idée qu’il y a quelque chose de troublant à propos de l’objection complète à toute opposition plutôt que d’engager la conversation avec elle. Parfois, l’action militaire pour les intérêts canadiens est le meilleur chemin pour notre nation – mais, parfois, elle ne l’est pas.

Le travail de Richler est le témoin du fait que les Canadiens sont très bons pour se ré-imaginer. De colonie à nation, d’empires impériaux aux empires commerciaux, pour le meilleur ou pour le pire, nous nous sommes distingués par notre capacité à s’adapter aux circonstances historiques. Bon ou mauvais, What We Talk About When We Talk About War révèle que, dans la foulée de l’Afghanistan, les Canadiens devront peut-être revoir une fois de plus ce que nous sommes et ce en quoi nous croyons.

[1] Voir l’annexe 1A « Military Aspects of the Peace Settlement » dans The General Framework Agreement (alias Les Accords de paix de Dayton), Décembre 1995.

[2] J.L Granatstein, « Fort Fumble on the Rideau: Just Say No to Military Academics », Globe and Mail, 22 août, 2011.

[3] Randy Boyagoda, « Book Review: What We Talk About When We Talk About War, by Noah Richler », National Post, 27 avril 2012; Laura Eggerston, « What We Talk About When We Talk About War by Noah Richler: Review », Toronto Star, 12 mai 2012; Paul Gessell, « Book Review: What We Talk About When We Talk About War », Ottawa Citizen, 23 avril 2012; Jonathan F. Vance, « An uncritical nostalgia for all things Pearsonian », The Globe and Mail, 4 mai 2012.  Le quatrième de couverture du livre propose également des citations de Desmond Morton et de Margaret MacMillan et d’autres qui reflètent le même sentiment.